Dimanche 27 avril, Manuel Valls doit se rendre au Vatican, aux cotés de François (je parle de l’actuel pape… vous l’aviez compris), pour participer à une messe, c’est à dire une cérémonie religieuse célébrée en raison de la canonisation de deux anciens papes Jean-Paul II et Jean XXIII. Du point de vue de nos principes républicains et laïques cette présence est purement honteuse et inacceptable. Elle est une aggression contre l’un des piliers de notre République. Elle ouvre grand la porte à toutes les dérives et à toutes les démagogies communautaires qui déjà vont bon train ces derniers temps. Désormais, chaque élu se croiera conforter qu’il est dans son rôle quand il va, en tant qu’élu, à toutes les fêtes religieuses de sa commune. Je ne suis pas d’accord.
A titre privé et personnel, il va de soi que Manuel Valls, comme citoyen, a tout à fait le droit d’être croyant, d’être catholique et de considérer que cette cérémonie est un évènement important qui nécessite sa présence. Si c’est le cas, c’est une affaire privée, intime respectable, mais qui n’engage que lui et seulement lui. Avec son argent personnel, et avec une certaine discrétion, il peut donc faire ce qu’il veut. D’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens, de confession catholique, vont accorder beaucoup de valeur à cette canonisation et vont se rendre avec leurs propres deniers au Vatican dimanche. C’est leur droit, c’est conforme à leurs convictions spirituelles, et je respecte cette conviction. Mais ici, dans le cas de la présence d’un représentant de l’Etat, ce dont il s’agit c’est d’une participation en tant que Premier Ministre, donc au nom de la République française et de l’ensemble des français, avec un financement public de son déplacement. Cela n’est pas tolérable.
Rappelons quelques principes. La République laïque n’a pas à se prononcer sur l’importance d’une décision religieuse qui ne concerne fondamentalement que les croyants. Elle n’a pas à dire si c’est une chose positive ou négative. Elle est neutre sur ces questions là. C’est le sens, très clairement, de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte […] ». Concrètement, le fait que la République « ne reconnait aucune culte » ne signifie qu’elle les méprise, mais assure le fait que chaque religion fait que ce qu’elle veut, s’organise comme elle le souhaite et prend les décisions qui la concerne sans que la République ne soit consultée ni ne se mêle de ses décisions, ni ne donne son opinion (dans le cadre plus général du respect des lois bien entendu). En France, il n’y a plus de Concordat. Allons plus loin, une canonisation signifie concrètement que les deux anciens Papes ont été reconnu par des instances catholiques comme responsables de « miracles ». Précisément, des médecins officiels du Vatican, entourés d’une commission d’ecclésiastiques, ont considéré que les deux Papes ont soigné des gens atteints de maladies incurables. C’est à partir de cette affirmation, tout de même assez obscurantiste, que les deux hommes vont devenir des « saints ». On peut penser ce que l’on veut de tout cela, mais en quoi cela concerne l’ensemble de nos concitoyens ? En quoi le gouvernement français doit-il apporter du crédit, par sa participation, à ces affirmations ? Et s’il le fait aujourd’hui pour les catholiques, va-t-il le faire désormais pour tous les cultes demain ? Le gouvernement français va-t-il désormais envoyer un représentant lors de toutes les cérémonies religieuses, quelle que soit le culte, qui aura lieu à l’avenir ? Si ce n’est pas le cas, ce sera blessant vis-à-vis de nos concitoyens qui seraient concernés par cet autre culte. Mais où cela s’arrête-t-il ? En fonction de quelle méthode ? Est-ce bien sérieux ? Est-ce bien respectueux de nos lois ? De nos traditions républicaines ? Bien sûr que non. Enfin, tous ceux qui avancent l’argument des prétendues « racines chrétiennes de la France » pour justifier cette présense attestent par ce seul artifice de leur incompréhension totale de la République et son histoire. Non, la France Républicaine n’a pas de racines chrétiennes mais des fondations laïques et républicaines, et ce n’est pas la même chose. Oui en France il y a des catholiques, mais ces derniers sont attachés à la laicité car ils savent qu’elle est la condition de l’émancipation et vivre ensemble, quelle que soit nos convictions, croyants ou non croyants.
Et puis pour ma part, tout en respectant la foi qui fait battre le coeur de tant de femmes et d’hommes et les pousse vers le meilleur d’eux mêmes, et cela ne concerne que moi, je garde en mémoire le voyage de Jean-Paul II au Chili en 1987, à l’occasion duquel il salua Augusto Pinochet, le dictateur responsable de la mort de plus de 4 000 de nos camarades et de la disparition tragique du président Salvador Allende. En écrivant cela, je n’oublie le rôle magnifique qu’ont joué des prêtres dans la résistance à la dictature, ni celui de la si courageuse « gauche chrétienne » au Chili. Mais, je sais aussi toute les difficultés que le Vatican a dressé contre ces héros de la théologie de la libération qui payèrent de leur sang leur engagement total allant jusqu’au bout de leur foi. Gloire à eux, mais honte à celui qui serra chaleureusement la main de leur bourreau. Vais-je trop loin en écrivant cela ? A chacun d’en juger et je referme pudiquement cette courte parenthèse et revenons au « cas » Manuel Valls.
Plutôt que de se livrer à ce qui ressemble à une sombre opération de récupération électoraliste, et à une vulgaire « drague » des catholiques français , dans le mépris de tous les autres, Manuel Valls ferait mieux de méditer sur l’exemple de Georges Clémenceau dont parait-il il s’inspire, même quand ce dernier réprimait brutalement les grèves ouvrières en 1906 et 1907, malgré les indignations de Jean Jaurès, mais c’est une autre histoire. En 1918,après quatre années de « grande boucherie » qui avait tant coûté à la France, invité à assister au Te Deum de l’armistice par l’archevêque de Paris, Clemenceau refusa de venir et somma le président de la République, Raymond Poincaré, et même le président de la Chambre, Paul Deschanel de ne pas y assister. Au premier il fit valoir : « Vous êtes le président de tous les Français et non des seuls catholiques.« . C’était clair.
96 ans plus tard, le nouveau premier ministre, qui se dit admirateur du « Tigre » oublie tout cela, qui n’était pourtant que la stricte application de la loi de 1905. Clémenceau « le Tigre » malgré ses défauts, défendait la laïcité, Valls « le petit matou » flatte l’Eglise catholique. Chacun appréciera la différence. Mais peut être que notre Premier Ministre va au Vatican dans l’espoir d’un miracle pour inverser la courbe du chômage…qui sait ? Cet espoir est somme toute plus raisonnable que d’attendre des effets positifs de sa politique d’austérité.
Alexis Corbière
Lien vers l’article d’origine : ici