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Fév 11

Le facteur cheval

 La traçabilité c’est formidable ! Il n’aura fallu que quelques jours pour savoir que les lasagnes à la viande de cheval-déguisé-en-bœuf qui défraient actuellement la chronique ont été fabriquées au Luxembourg par Tavola, société liée à Comigel, le fournisseur de Findus, à partir d’une viande vendue par Spanghero, une entreprise établie à Castelnaudary et chapeautée par la holding Poujol. Cette dernière aurait acquis la viande auprès d’un trader chypriote, qui a sous-traité la commande à un autre trader résidant aux Pays-Bas. Ce dernier se serait procuré la viande auprès d’un abattoir en Roumanie. Quelle transparence ! Bientôt vous connaîtrez le nom du cheval que vous avez mangé. La modernité est en marche. Elle irradie nos usines agroalimentaires et nos abattoirs. Le président de l’Association nationale des industries alimentaires explique ainsi que le test ADN est la seule façon pour les professionnels de différencier la viande de bœuf de celle du cheval. On se demande comment les bouchers d’autrefois faisaient pour ne pas se faire refiler des rosses peu recommandables. Peut-être qu’ils touchaient la viande ? Un crime contre l’hygiène ! Plus scrupuleuse, la société Spanghero explique par communiqué que la viande reçue a été transmise sans aucune transformation. Elle prétend qu’elle n’a même pas été déballée. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir pratiqué des analyses bactériologiques qui se sont révélées conformes. A travers le plastique, trop fort ! Dommage qu’ils aient oublié de demander à l’appareil si l’intérieur du plastique était bien en bœuf.

L’Union européenne n’a jamais osé prétendre sérieusement qu’elle défendait les travailleurs. Mais en échange des sacrifices qu’elle leur réclamait, elle a toujours clamé qu’elle les protégeait farouchement en tant que consommateurs. Hélas la qualité de la nourriture n’est apparemment pas plus compatible que le progrès social avec la concurrence libre et non faussée et la maximisation de valeur pour l’actionnaire dont elle fait sa loi suprême. Dans cette cascade de sous-traitance transfrontalière, il faut bien que chacun gratte quelque-chose. Apparemment il y en a un qui a gratté un peu fort. Et la main invisible du marché est restée désespérément aveugle sur la qualité finale du produit. C’est le premier ministre britannique qui a levé le « scandale du horsegate ». Le même défendait la semaine dernière la casse du budget européen. Cela fera moins de fonctionnaires tatillons. Prenez donc exemple sur les banquiers ! Ne s’autorégulent-ils pas eux-mêmes en évitant les dispositifs publics coûteux pour nos finances ? Les bœufs n’ont qu’à veiller à ne pas mélanger leur viande avec n’importe qui. Un ministre français affirme qu’il « découvre la complexité des circuits et de ce système de jeux de ’trading’ entre grossistes à l’échelle européenne ». On l’aurait compris du ministre des anciens combattants mais c’est celui de l’agriculture qui fait cet aveu. Heureusement, nos ministres vont bientôt avoir des informations de première main grâce à une réunion avec les dirigeants de la filière. Après avoir sauvé le « modèle français » de banque universelle, ils devraient parvenir à blanchir le « modèle français » de grande distribution et le « modèle français » d’agriculture productiviste. Le coupable n’a sûrement rien à voir avec tout cela pas plus qu’avec l’économie capitaliste. Qui est-ce alors ? Attendez d’avoir le nom du cheval. Ce drôle de nomade ne doit pas se contenter d’être roumain. C’est sûrement un Rom.

Lundi 11 Février 2013  François Delapierre
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