INTERVIEW – Le socialiste Jean-Christophe Cambadélis a publié vendredi une lettre ouverte dans laquelle il s’en prend à l’attitude de Jean-Luc Mélenchon. Joint par leJDD.fr, le secrétaire national du Parti de gauche, Eric Coquerel, dénonce un « travestissement de la réalité » et appelle à « une autre voie » à gauche.
Que pensez-vous de la lettre de Jean-Christophe Cambadélis?
En réalité, sous un air plus aimable et fouillé que tous ceux qui aujourd’hui nous envoient des diatribes, il reprend exactement les mêmes arguments. D’abord l’idée de personnaliser sur Jean-Luc Mélenchon en laissant penser qu’il serait seul dans le Front de gauche et que d’autres auraient en réalité une réflexion différente sur le PS. A tel point que le ressort ne serait pas politique, mais de l’amertume. C’est un premier travestissement de la réalité. Le meeting de Metz et les dernières déclarations de Pierre Laurent ont montré qu’il y avait une solidarité et que le Front de gauche partage l’analyse sur le gouvernement.
Le député socialiste reproche à Jean-Luc Mélenchon d’avoir, dès le début, « décliné toute participation » gouvernementale.
Au lendemain de la désignation de Jean-Marc Ayrault, nous n’avons pas crié à la victoire trahie. Nous avons dit que le programme de François Hollande ne nous permettait pas de gouverner avec lui. A l’époque, le chef de l’Etat n’a pas dit ’voyons ce que l’on peut faire ensemble’, mais que ceux qui voulaient gouverner le feraient sur sa base. En juin, nous avions affirmé que nous soutiendrions les choses qui vont dans le bon sens. Le problème est que, dans sa longue énumération de ce qu’il considère comme des acquis, Jean-Christophe Cambadélis oublie tous les points fondamentaux qui ont fait que progressivement le Front de gauche – et la majorité des syndicats – ne se reconnaît pas dans cette politique. Cela va de la signature du TSCG, au pacte de compétitivité qui fait des cadeaux aux entreprises, au récent accord du Medef…
« Le PS n’est pas toute la gauche » Vous lui reprochez donc de ne pas mettre en avant l’intégralité des sujets?
Il a l’air de dire que seul le Front de gauche est critique. Dans cette lettre, il y a aussi des choses qui, pour l’instant, restent des annonces, comme la construction de 500.000 logements. Nous allons voir. Sur l’augmentation du Smic, que ce soit les syndicats ou le Front de gauche, tout le monde a critiqué cette hausse de 2%. A part Mme Parisot, aucun autre acteur social ne s’est exprimé de manière satisfaisante sur ce point.
Selon lui, aucun sujet ne trouve grâce aux yeux du Front de gauche. Etes-vous d’accord avec cela?
C’est faux. Nous sommes capables de descendre dans la rue pour défendre le mariage pour tous. Nous faisons beaucoup pour la mobilisation du 27 janvier. Après, nous n’attendons rien de mieux que d’avoir des choses qui trouve grâce à nos yeux. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard avaient beaucoup insisté sur une loi d’amnistie des syndicalistes. Cela ne coûte rien au gouvernement. François Hollande avait dit que c’était plutôt une bonne idée, mais rien n’est fait. Nous souhaiterions pouvoir avoir autre chose que des nouvelles qui vont à chaque fois dans le mauvais sens. Ce sont des mesures qui ne transforment en rien la politique de fond du gouvernement, qui est une politique d’accompagnement du libéralisme.
Aujourd’hui, vous pointez donc du doigt un désaccord de fond avec le PS.
Il est contenu dans la première et la dernière phrase de la lettre de Jean-Christophe Cambadélis. Pour cadrer son discours, il explique que « la gauche est plurielle » et qu’elle « partage les mêmes valeurs ». Si on peut dire que naguère la gauche pouvait se retrouver sur le projet de transformer le système, on ne partage plus aujourd’hui les mêmes objectifs. Le nôtre est toujours de refuser les politiques libérales ou de l’offre que défend le gouvernement. Par ailleurs, il y a toujours cette idée que le PS est toute la gauche. Jean-Christophe Cambadélis écrit : « Nous te demandons de temps en temps de dire que la gauche fait des choses bien. » Mais il aurait dû dire : « que le Parti socialiste ». Ce n’est pas toute la gauche. Sur le fond, je suis absolument sûr que l’électorat socialiste est troublé par la politique menée. Le Front de gauche marque des points, au sein du PS aussi. Toutes ces déclarations ou lettres sont des contre-feux, car ils sont inquiets et ils ont raison de l’être.
« Nous avons pour objectif de changer le rapport de forces »Vous dites que le Front de gauche « marque des points ». En vue notamment des élections de 2014?
Pas uniquement. Il marque aussi des points dans ce que pense profondément une majorité de salariés dans ce pays. Je pense que les idées que nous défendons contre l’austérité sont plus majoritaires chez les gens qui ont voté François Hollande en mai que la politique sociale menée aujourd’hui par le président. Cela inquiète les dirigeants du PS. Ils feraient mieux d’en tirer les conclusions.
Les tensions actuelles entre le PS et le Front de gauche ne vont-elles pas compliquer les choses en vue des municipales?
On verra bien ce qui va se passer d’ici les municipales! Nous avons pour objectif de changer le rapport de forces. Nous ambitionnons de passer devant le PS et de montrer qu’il y a une autre ligne à gauche qui peut être majoritaire aux européennes. Les municipales ne sont pas en dehors de cette construction politique. Après, il y aura évidemment diverses situations locales… Cela sera plus complexe qu’au moment des européennes, mais nous ne dictons pas toute notre stratégie par rapport à cette question. Nous voulons montrer – y compris aux électeurs socialistes et pourquoi pas aux parlementaires – qu’une autre voie est possible, loin de celle qui nous mène à l’échec.
Anne-Charlotte Dusseaulx – leJDD.fr 26 janvier 2013